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La différence entre « danger » et « risque » : l’exemple des orages du 29 juin dans l’ouest de la Romandie

MétéoSuisse-Blog | 07 juillet 2024

L’article de ce jour revient sur la situation orageuse du 29 juin dernier. La survenue tardive et sous une forme atténuée des orages prévus nous donne l’occasion de rappeler la différence fondamentale existant entre le « danger » et le « risque ».

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Dans l’après-midi et la soirée du 29 juin, les oreilles des météorologues du centre régional de MétéoSuisse à Genève ont méchamment sifflé. Quels mots n’a-t-on pas utilisés pour vouer aux gémonies ces gratte-papier incapables, ne serait-ce que de regarder par la fenêtre, et émettant à la légère un avis d’orage de degré 4 – parfaitement injustifié – et qui débouchera sur l’intolérable fermeture des fans zones le soir du match Suisse – Italie.

Si cette frustration est parfaitement compréhensible, elle repose pourtant sur une lourde erreur d’appréciation dans laquelle le danger et le risque sont confondus. Or, ce n’est pas du tout la même chose !

Imaginez que vous vous trouvez avec votre fils aux abords d’un immense champ au milieu duquel dort un tigre ; nous postulons que vous avez le droit de pénétrer dans le champ, mais pas de le contourner, et que le tigre n’a pas le droit d’en sortir. De l’autre côté du champ, se trouve un marchand de glaces, rapidement repéré par fiston.

« Papa, papa, il y a un marchand de glaces là-bas ! Tu m’en achètes une dis ? »

« Je voudrais bien fils, mais tu as vu ? Il y a un tigre qui dort au milieu du champ, c’est beaucoup trop dangereux, imagine s’il se réveille… ».

« Mais on ne fera pas de bruit, et on n’est pas obligé de passer tout près ! ».

« Non non, c’est exclu, trop dangereux, n’insiste pas ! »

« Pffff…. »

Là-dessus arrive un chien qui pénètre dans le champ, le traverse sans encombre, et ressort de l’autre côté près du marchand de glaces, sans s’être fait dévorer tout cru.

« Papa, regarde le chien, il a pu traverser lui ! Tu vois bien, il n’y a aucun danger ! Alleeeeez, achète-moi une glace,… s’il te plaît »

« désolé fiston, le risque est beaucoup trop grand, nous n’irons pas ! ».

« Bouderie… »

Selon le Robert, le danger se définit comme suit : « Ce qui menace la sûreté, l’existence de quelqu’un ou de quelque chose » ; quant au risque, il a cette définition : « Danger éventuel, plus ou moins prévisible ».

Autrement dit, le risque c’est une exposition à un danger, assorti d’une probabilité qu’il se matérialise.

Le danger, c’est le tigre ; le risque c’est qu’il se réveille alors que vous passez à côté de lui !

Ce risque dépend d’une multitude de facteurs. Par exemple la distance à laquelle vous passez, le bruit que vous faites en passant, votre odeur, voire le bruit aléatoire d’un oiseau dans un arbre. Ce risque est très difficile à évaluer, même pour quelqu’un connaissant très bien LES tigres en général, car il ne connaît pas CE tigre en particulier.

La différence fondamentale entre le père et le fils, c’est leur niveau de connaissance relativement à la situation. Se basant sur ce qu’il sait des tigres, le père est en mesure d’évaluer correctement le risque alors que le fils en est incapable. En l’occurrence, comme le danger est immense, même une faible probabilité suffit à rendre le risque inacceptable.

Lorsque l’on parle d’orages, tout le monde connaît le danger, mais seuls les météorologues ou ceux qui se sont mêlés de les prévoir connaissent le risque. C’est pour cette raison que différents produits existent :

  • La prévision standard d’orages, qui se réfèrent au danger que présente chaque orage, mais qui évalue le risque au-dessous des seuils d’avertissement.
  • Les avis d’orages qui se réfèrent au risque d’orages particulièrement violents et qui – à ce titre – sont fondés sur une probabilité.

Pour revenir à ce 29 juin de triste mémoire, le risque était véritablement extrême et concernait une grande partie de l’Europe de l’Ouest. Tous les services météorologiques nationaux, ainsi que les services météo privés et les sites spécialisés dans la prévision des orages avaient marqué cette journée du sceau de leur degré de danger maximal.

Les indices d’instabilité de la masse d’air étaient deux à trois fois plus élevés que ceux du 24 juillet 2023 lorsqu’une tornade a touché La Chaux-de-Fonds, le forçage dynamique de l’atmosphère était plus important et la quantité de vapeur d’eau présente dans l’air inédite pour bon nombre de météorologues pourtant expérimentés.

En raison des poussières sahariennes et d’une couche nuageuse plus persistante que prévu, il n’a probablement manqué que quelques heures d’ensoleillement et 2 à 3 degrés de plus pour que les orages donnent leur pleine mesure, à savoir des vents d’une rare violence et des cumuls de pluie dévastateurs. La dissémination de milliards de noyaux de condensation dans l’atmosphère grâce aux poussières sahariennes a sans doute limité drastiquement la taille des grêlons et favorisé l’incroyable quantité d’éclairs (plus de 10'000 uniquement sur le bassin genevois).

A la vérité, nous avons été assis sur une poudrière tout l’après-midi et par miracle aucune étincelle n’a allumé la mèche. Gageons que les années qui viennent nous apprendront à nous en réjouir plutôt qu’à nous en plaindre.

Peut-être même qu’à la longue finirons-nous – comme fiston – par avoir confiance dans l’autorité chargée d’assurer notre sécurité.